UN TOURISTE, SAC A DOS, SKIS SUR L'EPAULE

Le 1er mars 1944, le car Glénat, piloté par Chabert, qui assurait les communications entre Grenoble et SaintMartin-en-Vercors, arriva bondé comme toujours, à l'arrêt de Saint-Quentin-sur-Isère, au café du Nord. Il desservait toutes les petites localités, Saint-Gervais,Qognin, Iseron, Saint-Romans, Pont-en-Royans, les Barraques. .. Il ramenait chez eux, chaque soir, ceux, qui s:étaient rendus en ville pour y traiter quelques affaires ou s'assurer un ravitaillement précaire. Il transportait aussi les sace de dépêches, les journaux... C'était un lourd véhicule à gazogène qui passait par la route des Grands-Goulets, en plein Vercors.
Un homme était venu des abords de Saint-Quentin, encore jeune, grand, brun, le visage ouvert, dont le pas sonnait clair sur la route gelée. Il portait le sac alpin au dos et, sur l'épaule, la paire de skis. Un parfait touriste. Il attendait patiemment son tour de monter dans le car et s'y installa tant bien que mal, jetant un coup d'œil sur les voyageurs et repérant deux jeunes hommes qui lui adressèrent un clin d'œil. Et l'on se mit en route. Après Pont-en-Royans, on prit donc la route des Goulets et l'on parvint à Saint-Martin vers 20 heures, terminus. Le touriste descendit et les deux hommes qu'il avait repérés se joignirent à lui. Un guide à qui ils avaient été annoncé vint les prendre en charge et ils le suivirent sur le sol recouvert de neige, gravirent la pente, arrivèrent près d'une ferme où une sentinelle les arrêta, puis au vu du guide qui semblait bien connu, les laissa passer: ils se trouvèrent bientôt dans une assez vaste pièce où des hommes devisaient entre eux, fumaient, ou jouaient aux cartes. Le « touriste » demanda à voir le chef. On lui indiqua un escalier par lequel il accéda à une pièce beaucoup plus petite dans laquelle se tenait un homme revêtu de l'uniforme de capitaine de l'armée française: -Thivollet ? demanda le touriste. - Lui-même... - Je suis Ta... - il se reprit - excusez-moi, Laroche. En réalité Thivollet n'était autre que le capitaine Geyer, du 1l ème régiment de cuirassiers, qui avait réussi à s'échapper du quartier de la Part-Dieu, au moment de l'occupation par les allemands le 28 novembre 1942, emmenant ses chevaux, sauvant l'étendard et qui avait immédiatement pris le maquis avec une quarantaine de cavaliers de son unité. Durant toute l'année 1943, ces hommes avaient vécu dans le Vercors et constitué l'embryon de ce qui devait devenir le grand camp retranché de l'été de 1944. Thivollet se vantait de n'avoir jamais quitté sa tenue militaire. Quant au «touriste» que nous avons vu emprunter le car Glénat, il se nommait Pierre Tanant, c'était un ancien capitaine du 6ème bataillon de chasseurs, son père, le général, avait en 1920, commandé l'école de Saint-Cyr. Tanant s'était retiré, après la disparition du bataillon, dans une petite maison de Saint-Quentin et, entré dans la résistance, prenait directement ses consignes auprès de son dernier chef de bataillon, Albert de Seguin de Reyniès, qui, lui, était demeuré à Grenoble même où il été devenu chef départemental F.F.I. depuis 1943 ; Il rêvait de pouvoir, un jour, reconstituer son unité et le désastre de Malleval où il avait implanté lui-même le lieutenant Eysseric, l'avait beaucoup frappé. Imprudence que de ne pas avoir quitté Grenoble, mais où aller chercher gîte avec une épouse et huit enfants? C'était le drame des officiers de l'ancienne armée de l'armistice, chassés de leurs emplois et qui avaient dû se reclasser tant bien que mal, pour vivre, accepter de vagues occupations civiles, à moins qu'ils n'aient émigré dans une lointaine campagne, recensés et surveillés par la police et par l'occupant. Un assez grand nombre avait choisi de servir dans la résistance. Tanant était de ceux-là. Quelques uns avaient essayé de rejoindre l'Afrique du Nord. Les deux hommes qui avaient pris place dans le car et suivi Pierre Tanant étaient l'ancien sergent Barrai et l'ancien chasseur alpin Pradères, de l'ex 6ème bataillon. La mission du capitaine Tanant consistait à venir reconnaître un emplacement favorable pour installer un camp de chasseurs, non loin de celui des cuirassiers. A cette époque, printemps 1944, les maquis du Vercors comprenaient en tout et pour tout trois à quatre cents hommes groupés dans les camps, ou ce que l'on appelait ainsi. C'était des réfractaires du S.T.O., des volontaires, des officiers et sous-officiers de l'armée dissoute. Thivollet leur avait donné une instruction militaire rudimentaire, mais l'ordre et la discipline régnaient. Le Vercors avait été divisé en deux groupements: au nord, sous les ordres du capitaine Costa de Beauregard (Durieu), la région Autran, Méaudre, le col de la Croix-Perrin. Au sud, capitaine Geyer (Thivollet), la région Saint-Martin, Saint-Julien, la Chapelle et Vassieux. L'ensemble placé sous la haute influence du colonel Descour (Bayard) qui supervisait toute l'ancienne XIVème région militaire. Il existait aussi une organisation civile de la résistance dont le chef était Eugène Chavant (Clément), composée de volontaires affiliés au mouvement franc-tireur.

Sommaire