LE VERCORS SE PREPARE AU COMBAT (suite)

Bien entendu ce branle-bas n'était pas resté inaperçu des allemands. Le 13 juin, ils lancent, depuis Grenoble, un bataillon pour forcer le plateau de Saint-Nizier. La défense en était bien organisée et après une journée de durs combats, les allemands, impressionnés par la résistance, regagne la plaine, sans avoir pris pied sur le plateau.
Mais le 15, ils renouvellent leur attaque avec des moyens renforcés et l'appui de l'artillerie, tirant depuis Grenoble. Malgré le combat farouche des Maquisards, trop légèrement armés, l'assaillant progresse partout, atteint et incendie Saint-Nizier, sans chercher à pousser plus loin: il a désormais forcé la porte et pris pied dans le massif Huet admet bientôt l'impossibilité de rejeter l'adversaire et renonce à défendre le plateau de Lans et Villard-de-Lans, pour reporter ses défenses plus au sud et les raccourcir (1).
Les allemands s'efforcent d'évaluer les forces des maquisards et les possibilités de pénétration sur le plateau, en prévision d'une intervention qui leur permettra d'en terminer avec ce dangereux. abcès. Les 22 et 24 juin, ils exécutent deux raids sur les confins du Vercors, avec des succès inégaux (2) et à partir du 10 juillet leur aviation basée à Chabeuil multiplie les reconnaissances. Le 13 au soir, elle bombarde Vassieux et la Chapelle. Dans le même temps, au Vercors, toute discrétion est abandonnée. Le 25 juin, les alliés larguent en plein jour, des centaines de containers sur Vassieux. Ils envoient ensuite deux commandos américains, spécialisés dans les destructions. Enfin, le 7 juillet, arrive d'Alger la mission « Paquebot» avec un capitaine aviateur, chargé de créer rapidement un terrain d'atterrissage à Vassieux.
Ces événements s'ajoutent aux succès, lents mais continus, du débarquement de Normandie et à quelques coups d'éclats de la Résistance, pour créer sur le plateau une ambiance d'euphorie. Le 3 juillet, la République est officiellement restaurée au Vercors et une grande prise d'armes organisée en l'honneur d'Yves Farge, Commissaire de la République pour la région Rhône-Alpes (3).
Le commandement militaire s'emploie à transformer ses maquisards en unités régulières: bataillons de chasseurs et régiments divers! Mais cette mesure, d'apparence quelque peu cocardière, trouvait, sans doute, une justification plus réaliste" en .raison du type d'engagement auquel ce commandement pensait devoir se préparer (4).
Le 14 juillet enfin, l'aviation alliée largue, encore de jour sur Vassieux, plus de 850 containers sous parachutes bleus, blancs -et rouges (5). C'est émouvant et merveilleux, mais pour le Vercors, c'est bien la dernière festivité. A peine les appareils alliés disparus, se succèdent jusqu'au soir, chasseurs et bombardiers de la Luftwaffe, qui à la mitrailleuse et à la bombe, attaquent la zone de parachutage, Vassieux, la Chapelle et tout ce qui bouge. L'aviation allemande, décollant de Chabeuil (6) se montrera désormais très active sur le Vercors.
L'encerclement, l'assaut, la dispersion.
Depuis le 12 juillet, les renseignements parvenus à Alger comme en Vercors annoncent les préparatifs d'une grande offensive contre le massif: rassemblements d'avions sur le terrain de Chabeuil, multiplication des reconnaissances aériennes, regroupement à Valence et Romans de troupes venues du midi, renforcement des unités établies à Saint-Nizier. Le 20 iuillet.l'encerclement du Vercors est achevé.
Les forces allemandes regroupent:
-le gros de la 15ème division, composée de bavarois et d'autrichiens, entraînés au combat en montagne;
- des éléments d'une division blindée (la 9ème panzer), pour le bouclage extérieur du massif;
- trois bataillons levés dans les pays de l'est, couramment baptisés « mongols» ;
-des unités de feldgendarmerie, de sécurité et de waffen SS ;
- un important soutien aérien et aéroporté.
Au total de l'ordre de 15000 hommes aux ordres du général Pflaum. En face Huet dispose de prés de 4000 hommes. Les deux tiers sont armés, mais surtout d'armes légères. Les unités disposent de fusils mitrailleurs, mitrailleuses légères et lance-grenades; à de très rares exceptions prés, il n'y a ni mitrailleuses lourdes, ni mortiers, ni canons, ni aucun moyen de transmission. Les équipements de pluie manqueront aussi cruellement pendant la bataille.
Quelques unités, depuis plusieurs mois dans le Maquis, bien encadrées et entraînées sont fort combatives. Mais dans beaucoup d'autres, les hommes et nombres de cadres subalternes manquent de formation et d'entraînement. Dans la tourmente, elles parviendront mal à maintenir la cohésion nécessaire. Pourtant l'espoir demeure que les renforts peuvent encore arriver, parachutés ou même posés sur le terrain de Vassieux, en voie d'achèvement.
Le vendredi 21 juillet au matin, l'ennemi débouche en force de Saint-Nizier, vers Villard-de-Lans et Corrençon au sud, Méaudre et Autrans au nord. En même temps, sur la façade est, des unités gravissent les pentes raides du Grand Veymont, pour atteindre les« pas », où les combats s'engagent vers 10 heures.
Si le terrain est partout favorable aux défenseurs, ceux-ci se battent contre des effectifs très supérieurs et l'insuffisance de leur armement aggrave cette infériorité. Aussi l'ennemi, qui manœuvre bien, progresse partout, malgré une résistance résolue.
Mais avant 8 heures, à Vassieux, tout se précipite. Sur le terrain d'atterrissage en cours d'achèvement, les résistants croient voir arriver les renforts alliés. Mais c'est la Luftwaffe, qui mitraille, bombarde et largue, autour de Vassieux et de ses hameaux, une vingtaine de planeurs chargés de troupes. En quelques minutes, la partie est jouée Vassieux écrasée, la population massacrée, les maquisards submergés et anéantis. Parmi les tués, le jeune fils du colonel Descour.
Malgré la perte de plusieurs planeurs, les assaillants, des parachutistes, probablement en partie des waffen SS levés dans les pays de l'est, se retranchent dans les ruines. Bien soutenus" par leur aviation, ils n'en seront plus délogés (7), malgré les tentatives de contre-attaques, lancées sans l'appui d'un armement lourd indispensable, et sans moyens de liaisons qui permettraient de coordonner l'action. En fin de journée, la situation est partout compromise (8). Devant l'éventualité d'un rapide débordement des défenses, Huet, réunit, de nuit, un conseil de guerre pour déterminer l'attitude à adopter. La trop grande élongation du périmètre défensif fait repousser l'idée d'un regroupement pour tenter une percée en force. D'où la décision de poursuivre la lutte jusqu'à épuisement des moyens, puis sur ordre, de disparaître dans les zones isolées, réparties entre les divers éléments."
Le 22 juillet .malgré une résistance souvent remarquable, la poussée allemande soutenue par la Luftwaffe dès que le temps le permet, reprend inexorablement (9). Les contre-attaques prévues contre les aéroportés de Vassieux, se révèlent irréalisables avec les moyens disponibles. En fin de journée l'étau s'est partout resserré et les liaisons du maquis deviennent très aléatoires.
Le dimanche 23, à l'est, les allemands s'élancent en force et vers 15 heures les défenseurs sont submergés. A Vassieux, la Luftwaffe largue une vingtaine d'autres planeurs avec des renforts et des armes lourdes. Huet n'a plus de réserves, il transmet à tous l'ordre de dispersion et ainsi: les maquisards reprennent le maquis. Il rend compte à Alger: «tous ont fait courageusement leur devoir dans une lutte désespérée et portent la tristesse ô/avoir ôû œœr sous le nombre et ô/avoir été abandonnés seuls au moment du combat». La veille, Chavant avait adressé un message beaucoup plus violent, qui ne ménageait pas les responsables d'Alger. L'étrange circuit de ce message au sein de la hiérarchie civilo-mi1itaire allait faire l'objet d'une grave polémique, qui n'a d'ailleurs jamais trouvé de conclusion!
Le barbare ratissage allemand.
Pendant huit jours, en application d'ordre sans ambiguïté, les allemands ratissent le Vercors, en multipliant massacres, destructions et pillages, y compris, le 27, l'exécution des blessés de la grotte de la Luire (10) complétée quelques jours plus tard, par celle des médecins et de l'aumônier, puis par la déportation des infirmières.
Cependant, grâce aux forêts et aux zones chaotiques, et malgré les conditions de survie très difficiles, la plupart des groupes de maquisards bien organisés parviennent à échapper aux recherches allemandes, puis fin juillet ou début août, à gagner l'extérieur du massif pour y reprendre la lutte. Ceux qui au contraire ont tenté trop tôt la sortie furent souvent interceptés et abattus, tel Jean Prévost « Goderville » l'ami de Dalloz, écrivain et commandant de compagnie.
Au total, les combats du Vercors ont coûté aux français plusieurs centaines de morts.
Le chiffre le plus couramment avancé (Paul Dreyfus, Henri Amouroux) est de 840 morts dont 200 civils, mais les monuments de Saint-Nizier et de Vassieux portent, gravé dans la pierre: 750 combattants et civils. Dans cette évaluation difficile, Joseph La Picirella (11) a effectué un énorme travail de recherches nominatives. Il aboutit à des chiffres notoirement inférieurs. Mais dans une situation aussi incertaine que celle du Vercors en 1944, il semble vain d'espérer une comptabilité exacte qui ne sera vraisemblablement jamais achevée. Peu importe d'ailleurs: ce qui compte pour une famille, c'est chacun de ses propres morts, indépendamment de tous les autres, et ce qui compte pour l'histoire, c'est le poids global des pertes dans cette dramatique aventure.
Dans cet état d'esprit, il est honnête d'admettre de l'ordre de 500 à 600 tués parmi les combattants, ce qui ne signifie pas que tous aient été tués au combat, et de l'ordre de 200 civils, morts du fait de la bataille. De toute façon, le bilan est lourd!

Général MAITRE
Janvierl995


(l) le« plan i)'utilisation militaire i)u Vercors », établi en 43 par Dalloz-Le Ray mettait en évidence l'intérêt du « verrou » constitué par les gorges du Bruyant Celles-ci boisées, très encaissées, permettaient en effet une défense assez aisée des accès au plateau de Lans, en venant de Saint-Nizier. Huet préféra réduire davantage son périmètre défensif.
(2) Le 22 juin, avec l'appui de leur aviation déployée à Chabeuil, les allemands attaquent et détruisent les transmissions du groupement de Combovin qui assurait la couverture sud-ouest du massif. Le 24, une colonne allemande, bloquée par les maquisards, ne put forcer les gorges d'Ecouges.
(3) Yves Farge manifesta, à cette occasion, un grand enthousiasme pour ces chasseurs alpins, ces cuirassiers et « ces vrais tirailleurs sénégalais» qui défilent.devant lui.
(4) Par deux des effets qu'elle devrait engendrer, cette mesure pouvait en effet, accroître l'efficacité de l'ensemble des maquisards, dans la perspective de la défense du plateau durant l'opération aéroportée attendue. En créant une organisation hiérarchisée, il devenait possible de transmettre assez aisément à tous un ordre d'exécution, alors que l'opération paraissait presque insurmontable avec des éléments non structurés et éparpillés. D'autre part la faible compétence militaire de l'encadrement aux plus bas échelons (groupe, section) rendait souhaitable que les jeunes cadres, à la personnalité affirmée et qui ne manquaient pas d'ascendant, soient eux-mêmes encadrés par des chefs plus mûrs et aguerris, en mesure d'achever, sur le terrain, leur formation guerrière.
(5) Ce deuxième parachutage massif, comme celui du 25 juin, s'inscrivait dans une opération d'ensemble qui intéressait plusieurs maquis du sud de la France.
(6) A 12 Km à l'est de Valence, Chabeuil n'est qu'à 30 Km de Vassieux. Depuis fin juin, le maquis demandait journellement le bombardement de ce terrain réactivé par les allemands. L'échange des messages sur ce sujet entre Vercors et Alger constitue un étonnant dialogue de sourds. Chabeuil sera finalement bombardé le, 26 juillet, après la fin de la bataille!! !
(7) En fin de journée, les aéroportés allemands compteront pourtant 29 morts et 20 blessés, soit 25% de pertes. (8) Le 21 au soir, les allemands occupent Méaudre et Autrans, Villard et Corrençon. Sur la crête du Veymont ils tiennent les pas des Chatons et de la Selle. '
(9) Le 22, depuis Villard et Corrençon, l'ennemi exerce son effort vers l'ouest, pour établir la liaison avec les aéroportés de Vassieux Il est d'abord repoussé devant Valchevrière, puis contenu au pas de la sambue mais en face les forces et les munitions des maquisards s'épuisent.Sur la crête orientale, les allemands s'emparent des pas du Fouillet et de l'Aiguille; de part et d'autre du Veymont, ils contrôlent la crête sur laquelle peut se déployer leur artillerie légère de montagne.
(10) Dès le 21 au soir, les blessés soignés à « l'hôpital de Saint-Martin» ont été dirigés vers Die, mais comme les allemands arrivaient alors dans la ville, ils furent ramenés en Vercors et installés sommairement, à l'abri sous la grande voûte de la grotte de la Luire, que l'ennemi atteignit le 27. La vingtaine de blessés fut alors massacrée sans pitié.
La situation de la grotte fut-elle indiquée aux allemands par trahison? C'est possible, mais des témoignages laissent aussi penser qu'ils auraient pu la découvrir d'eux-mêmes: il semble qu'un grand drapeau de la Croix Rouge avait été mis en place à l'entrée du porche et de nuit, les faibles lumières parfois allumées auraient été visibles depuis la route. De toutes façons, l'histoire du jeune garçon, traître pour un panier d'œufs, n'est probablement qu'une pieuse légende.

(Il) Cf. le dernier livre de Joseph La Picirella: «Le martyre de Vassieux en Vercors », imprimerie Rivet, Lyon, mai 1994.

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